Depuis que la technologie a émergé, de nombreux acteurs ont prétendu que le notaire allait disparaître, en tant qu’intermédiaire, la chaîne de blocs pouvant se substituer et garantir l’authenticité des actes. Cela a même conduit, en France, une députée à déposer un amendement à la Loi sur la transparence de la vie publique[1] qui prévoyait que « les opérations effectuées au sein d’un système organisé selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaîne de blocs de transactions puissent constituer des actes authentiques ».
Une telle conclusion tire son origine de la confusion entre le rôle joué par le « public notary »[2] dans les pays anglo-saxons et la fonction de certification de la chaîne de blocs. D’où l’importance pour la population de bien comprendre la mission du notaire québécois de tradition civiliste, qui est à la fois un officier public et un conseiller juridique et de la comparer avec celle de la chaîne de blocs.
Alors que la chaîne de blocs a la capacité d’horodater de façon fiable et sécurisée par un procédé cryptographique de signature des fichiers archivés de façon décentralisée, elle ne confère pas l’authenticité à l’acte; pas plus qu’elle ne vérifie la capacité des parties ni leur compréhension des termes de la transaction. De plus, la plus grande valeur ajoutée du notaire réside dans son rôle de conseiller juridique impartial. Par conséquent, la chaîne de blocs est une technologie qui comporte de nombreux avantages, mais elle ne peut combler toutes les dimensions de la profession notariale contrairement à ce qui est véhiculé dans le discours public.
Par contre, rien ne fait obstacle à ce que le notaire tire parti des forces de la technologie. Même si les notaires n’ont aucune raison de craindre la chaîne de blocs, ils ne doivent pas l’ignorer. Ils doivent, au contraire, la comprendre, se l’approprier, l’intégrer à leur pratique afin d’améliorer leur façon de faire. Cela est d’autant plus important que les notaires québécois font actuellement face à l’«ubérisation» de leur profession, c’est à dire à la remise en cause de leur modèle économique traditionnel en raison de l’arrivée des nouvelles technologies. Parmi les innovations qui incarnent ce processus, la chaîne de blocs suscite beaucoup d’intérêts chez les consommateurs de services juridiques, et ce principalement pour deux raisons : d’une part, parce qu’elle permet de construire la confiance autrement; d’autre part, parce qu’elle suscite l’efficience à moindres coûts. Deux sujets qui interpellent les notaires directement.
La réflexion sur la chaîne de blocs est d’autant plus pertinente que le notariat québécois est dans une phase de transformation numérique. Dans un tel cadre, la chaîne de blocs pourrait ainsi constituer un instrument d’évolution et de pérennisation de l’activité notariale.
[1] Laure de LA RAUDIÈRE, députée Les Républicains de la 3ᵉ circonscription d’Eure-et-Loir, avait présenté le 13 mai 2016 l’amendement suivant : « Les opérations effectuées au sein d’un système organisé selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaîne de blocs de transactions constituent des actes authentiques au sens du deuxième alinéa de l’article 1317 du Code civil. L’Autorité des marchés financiers habilite le système répondant aux conditions de sécurité et de transparence définies dans un décret pris en conseil d’État »
[2] Par exemple aux États-Unis, le métier de « public notary » ne constitue pas une profession en soi mais plutôt une charge. Ils certifient ainsi l’originalité des documents, des signatures, des dépositions de témoins, des prestations de serments